Il compte donc garder ma lettre pour avoir quelqu’un qui lui apporte à manger ? C’est incompréhensible. Ce type était fou. Il n’y avait pas d’autres explications. Peut-être qu’il avait une double personnalité. Ce qui expliquerait ces choix complètement aléatoires. Et ce ton doux. Il fallait que j’oublie ce ton ! A croire que j’en devenais obsédée. Il fallait dire qu’elle était sortie de nulle part cette façon de me parler. Et qu’elle m’avait complètement destabilisée. Déjà que j’étais pas du stable depuis que je le suis rentré dedans. « Pourquoi, tu as mieux à faire, peut-être ? Tu n’as pas de métier, tu es la fille d’un noble, tu as donc tout le temps qu’il faut pour faire quelques courses non ? » Alors c’était pour ça qu’il m’avait choisi ? Parce qu’il considérait que j’avais du temps libre ? Je n’aimais pas du tout la condescendance qui émanait de sa façon de me parler. En quoi être la fille d’un noble serait quelque chose de mauvais ? Oui, j’avais une vie confortable. Et alors ? Ce n’était pas pour autant qu’il avait le droit de profiter d’elle. « Arrête donc de te plaindre. Je m’occupe de combler ton incroyable emploi du temps, sois en heureuse ! » Parce qu’il pensait véritablement que j’avais besoin de lui pour savoir quoi faire de ma vie ? Mes journées étaient très remplies. Je prenais mon petit déjeuner, Mildred m’aidait à m’habiller et puis je lisais, je voyais Ekaterina… Bref, j’avais toujours des choses à faire. Pas besoin d’un démon pour m’occuper. Je finis alors par lui demander ce qu’il veut manger. Plutôt que de l’entendre déblatérer ses âneries. Mais je m’attendais pas à ça. « De la viande séchée et les fameuses pommes de terre gratinées du marché ! » Il est sérieux ? Mais c’était  l’autre bout du district. Et je n’avais même pas pris de diligence pour venir. Je n’avais que mes jambes. C’était bien ma veine… « Mais c’est à l’autre bout du district. Je vais en avoir pour longtemps. » Visiblement il s’en moquait pas mal. Et ne parlons pas du prix de la viande… Pas que ce soit un véritable problème, papa me donnait tout l’argent de poche que je voulais, mais quand même.

Je n’avais plus qu’à prendre mon courage à deux mains. Enfin, surtout avec mes pieds… À chaque fois qu'un carriole ou un cheval j'espérais. Il aurait pu s'agir de mon père, ou mieux d'Ethan. Je lui aurais raconter mes malheurs. Il serait alors reprendre ma lettre des mains de ce démon, pour qu'elle parvienne enfin dans les mains de son véritable destinataire. Nous n'aurons alors plus qu'à profiter de notre bonheur à deux. Sans plus personne pour interférer entre nous. J'avais alors guetté à l'aller. Et au retour. Mais il n'y avait eu personne pour me sauver. J'étais de retour sur le terrain d'entraînement, la peur au ventre. Me demandant ce qu'il allait faire d'autres par la suite. Mais il n'y avait personne. Il était partie. Je restais un instant là. Ne sachant ce que je devais faire. Il avait tout simplement disparu, avec ma lettre, sans me laisser un moyen pour le contacter… Je devais faire quoi maintenant ?

Je repris le chemin de la maison à pas lent, les bras chargés de la nourriture que j'avais dû aller chercher pour lui. Ma fidèle Mildred m'attendait à la maison. Je lui donnais mes sacs. « Tenez Mildred, mangez avec votre fils ! » Au moins je savais que tout ça ferait plaisir à quelqu'un.