« Tu manques à ton frère, Elthan…
-Je ne crois pas, mère. Tu réponds calmement en conservant ton sourire.
-C’est un homme, il ne veut juste pas le reconnaître !
-Mère…
-Comme ton père, comme toi ! Vous ne vous dites jamais ce que vous avez sur le coeur, mais je sais que vous vous aimez. Non ? »

Et voilà comment ta mère a réussi à laisser le doute rentrer dans ta tête. Remettre en question ton attitude. Et putain, Elthan, tu as presque 40 ans maintenant, mais tu continues à te faire retourner le cerveau par ta mère. T’es pas mieux qu’un gamin quand elle te regarde avec ces yeux là, quand elle te rappelle qu’il y a de l’amour derrière toute la façade des Varen.

Tu as quand même mis quelques jours pour y penser, pour retourner ça dans ta tête. Et tu as pris ta décision quand un bleu t’a demandé si t’étais malade parce que ça faisait des jours que tu n’emmerdais plus personne. Un coup de pied aux fesses et ta grosse voix qui tonne, voilà ce qu’il a récupéré, mais ça t’a finalement poussé à sortir du QG.

Tu as attendu la soirée, mais t’as même pas pensé à t’habiller en civil. T’as pas spécialement envie de voir les soldats des Brigades Spéciales en exercice, et de te montrer encore une fois moqueur. Tu ne viens pas pour jeter de l’huile sur le feu que tu as déjà salement allumé. En tout cas c’est ce que tu te dis. Par contre, t’es jamais vraiment allé au QG des Brigades. Tu ne sais même pas comment sont organisés leurs lieux de vie, et les rares fois où tu as dû y mettre les pieds, t’as suivi obstinément la personne qui t’avait traîné là.

Donc c’est dans la cour que tu t’arrêtes pour regarder autant de toi, avec un sourcil levé, les mains sur les hanches. T’as du solution pour trouver ton frère, Elthan. Soit tu gueules son prénom jusqu’à ce qu’il se décide à se montrer. Soit tu demandes. Et si la deuxième solution te fait déjà soupirer d’emmerdement, tu sais aussi que la première ne va pas ouvrir sur une discussion acceptable.

Donc tu laisses passer quelques pignoufs, qui te semblent trop jeunes ou trop idiots, jusqu’à voir une blonde arriver en face de toi. Et un instant, mon vieux, tu oublies complètement pourquoi tu es là. Tu ne vois que cette femme, et le fait que, oh ouiii, elle est clairement attirante. Et c’est avec un sourire sûr de toi que tu vas vers elle.

« Bonjour mademoiselle. Ton sourire s’étire, tu viens chercher son regard et tu la sondes, un instant avant de voir les marques sur sa veste militaire. Caporal, voilà qui fait plaisir à voir. Je cherche un certain Mahon, responsable d’escouade au sein des Brigades. »

Tu balaies du regard la cour, au cas où tu verrais ton frère rappliquer au même moment et ta volonté fond comme glace au soleil. T’étais pas si certain de vouloir te confronter à ton petit frère, mais maintenant que tu vois la blonde, t’as clairement envie d'abandonner là.

« Mais ce n’est pas si important. Un verre vous tenterait ? »

T’as jamais été dans les formes et la douceur. Tu mises sur ton charisme et ton sourire pour gagner le coeur des femmes.

Dune - 2020

C'est fou, ce que tu aimes bosser ici. Être Caporal dans les Brigades Spéciales, c'est presque un grand luxe, il n'y a qu'à voir l'endroit où tu dors, par rapport à la maison familiale à Karanes – que tu aimes pourtant de tout ton cœur – et surtout, ce bureau, entièrement pour toi, meublé, équipé, avec une porte solide qui ferme à clé et ton nom écrit sur une petite pancarte. C'est la classe, oui, et tu ne peux pas t'empêche de te dire que si c'est déjà classe, après avoir pris un seul et unique grade, si tu parviens à monter encore plus haut, tu profiteras probablement d'encore mieux. Quoi qu'il en soit, tu aimes énormément travailler dans ce bureau. Cet endroit est calme, et lorsque quelqu'un veut te voir, il a l’extrême obligeance de frapper contre cette porte avant d'entrer ce qui te change radicalement de la maison, là où tes petits frère rentrent dans ta chambre en courant avant de se jeter sur ton lit pour y chahuter. Généralement, tu laisses faire, parce que tu es bien trop habituée, en revanche, lorsque tu es fatiguée, il te suffit de hausser le ton pour mettre tout le monde au pas, et ça, c'est l'une ces choses qui est plutôt semblable ici, ou là-bas. Ton autorité. Et ta poigne de fer.

La journée est déjà sur le déclin lorsque tu te rends compte que tu as enfin terminer de lire et de trier tous les rapports dont tu avais à t'occuper aujourd'hui. On ne va pas se mentir, il n'y a rien là-dedans de très intéressant, en fait, tu sais parfaitement que la majorité de tes collègues ne lisent même pas les rapports qui leur sont adressés, probablement pour ça que certains se permettent d'y glisser des idioties et de les bâcler. Pas de chance donc, quand de tels rapports atterrissent sur le bureau de l'une des seules personnes assez studieuse et méticuleuse. Autant le dire, Tigern, ceux là, quand tu les convoques, il passe un sacré mauvais quart d'heure, et généralement, ils ne recommencent pas. Aujourd'hui, tu as mis trois de côté. Le reste, tu le fais envoyer aux archives via un coursier qui vient récupérer le carton à ton bureau, et c'est derrière lui que tu refermes avant de descendre dans la cour.

Il y a bel et bien un inconvénient à ta présence ici. C'est calme, évidemment. Trop calme, même, parfois. Et tu dois l'avouer, lorsque tu as terminé de travailler, le bruit, les cris, et l'agitation de la maison de Karanes te manquent. Lorsque tu retournes jusqu'à ta petite chambre, le soir venu, tu t'ennuies, souvent, ta famille te manque, tes pensées vont vers eux, systématiquement, et leur absence vient serrer ton cœur. Alors, souvent, tu sors. Parfois, tu bois un peu, mais tu ne te saoules jamais. D'autres fois, tu croises un homme, tu finis dans son lit, et puis, tu rentres et tu t'endors seule. Ce n'est pas ta vie idéale, mais c'est ta vie actuelle et pour le moment, on ne peut pas dire qu'elle ne te conviennes pas, tu t'en accommode. Alors te voilà quelque peu perdue dans le fil de tes pensées, te demandant quel choix tu as pour la soirée lorsqu'un homme que tu ne connais pas t’interpelle. Un salut poli, un sourire. « Le Bataillon d'Exploration … vous êtes bien loin de votre territoire habituel. » Dis-tu simplement, tout en sachant que les membres de l'exploration s'aventurent bien rarement du côté de Sina. « Bonsoir. Mahon ? Je suis le Caporal Mahon, qu'est-ce que je peux faire pour vous, soldat … ? » Il ne s'est pas présenté, et du coup, en entendant ton nom, tu as laissé passer la proposition pour un verre, du moins, pour l'instant.

C’est fou, quand même, comment tu peux remettre de côté les raisons de ta venue ici. Remettre, hein, parce que ce n’est pas la première fois que tu laisses tout de côté, que tu te trouves mieux à faire. Ce n’est pas que ton frère ne mérite pas que tu viennes et lui parle, Elthan, c’est plutôt que tu sais que c’est voué à l’échec. Toi qui n’a peur de rien, dehors, qui est un vigoureux combattant, face à ton cadet tu es juste tétanisé. Tu ne sais pas comment faire et rattraper les choses.

Alors oui, la jeune femme qui apparaît devant toi à de bons arguments pour te faire changer d’idées, encore plus qu’elle est gradée. Tu te dis qu’elle a donc de l'ancienneté et du savoir-faire, et tu préfères largement parler avec quelqu’un qui a des choses à faire que jouer au grand frère encore une fois. Et il faut qu’elle se décide à te répondre pour que ton sourire amusé revienne à nouveau :

« Je suis un soldat du bataillon, je n’ai pas peur d’aller explorer au-delà des murs, que ce soit vers les titans ou vers la capitale. »

Oh oui, clairement. Tu sais que certains de tes compagnons refusent de mettre ne serait-ce qu’un orteil dans le coeur de la ville, parce que c’est bien plus dérangeant que dehors. Toi aussi, tu as longtemps été comme ça. Depuis quelques années, tu te déplaces plus facilement dans chaque QG même si ton avis sur les soldats des Brigades, parfois même de la Garnison, n’a pas vraiment changé.

« Vous êtes… Que tu répètes bêtement en la regardant surpris. Et finalement c’est un rire qui te secoue. Si tu avais su que ton frère travaillait pour une femme comme elle, tu serais passé plus souvent ! Je venais prendre des nouvelles de mon frère, le soldat Varen, sous vos ordres, Caporal. »

Tu es véritablement amusé à cette idée, parce qu’en cherchant ton frère ou son escouade tu viens de faire une tout autre trouvaille. Tes yeux glissent à nouveau sur elle, pour la jauger sans aucune once de prétention. Quand tu finis par lui tendre la main, tu es refuse de reprendre l’habit militaire et ton grade, tu préfères rester un humain pour elle.

« Enchanté, Caporal. Elthan Varen. Nos parents s’inquiétaient pour mon frère alors je venais faire un tour pour me faire une idée. C’est une chance de tomber sur vous. »

Une chance, clairement. Pour toi, pour éviter ton frère, pour savoir quand même comme il va. Et tu ne te dégonfles pas, main tendue en posant un regard parfaitement calme et maîtrisé sur cette jeune femme. T’es bien plus grand qu’elle (tu es plus grand que beaucoup de soldats), mais tu n’as aucune intention de la prendre de haut.

« Alors, que dites-vous de ce verre ? Je vous invite, bien entendu. »

Parce que si elle l’a oublié, toi tu ne comptes pas laisser couler sans avoir de réponse.

Dune - 2020

Se pourrait-il qu'au final, tu sois dans l'obligation de travailler un peu plus tard, ce soir, Tigern ? C'est une possibilité, et c'est bien loin de t'effrayer. Tu n'avais de toute façon pas encore décidé quoi faire de ta soirée, peut-être que aurais fini par la passer en solitaire dans ta chambre, qui sait ? Au final, à choisir, oui, tu préfères travailler. Et puis, en définitive, ce n'est pas tous les jours qu'un membre des Bataillons d'Exploration vienne à toi, alors ça suffit amplement à piquer à vif ta curiosité. Et lorsqu'il ouvre la bouche à nouveau, tu ne peux pas retenir ce sourire qui vient illuminer tes traits, qui s'installe sur tes lèvres, ni même ce regard, probablement un peu taquin que tu lui lances. « Je reconnais bien là la mentalité du Bataillon ... » Et pour cause, même si on aurait pu le penser, tu n'étais pas si éloigner que ça de ce corps d'armée étant donné que ta grande sœur et l'un de tes grand frère en faisaient parti tous les deux. Tu leur avais toujours trouver une certaine façon de penser commune. « C'est vrai que vous êtes des beaux parleurs. » Et pas que, évidemment, mais en ce qui te concerne, tu t'arrêteras là. Du moins … « Prenez garde cependant, on dirait que certains nobles sont plus voraces que les titans. » Et ça, tu ne pouvais que le confirmer.

« Le soldat Varen … je vois oui. » Il est sous tes ordres. Tu vois évidemment parfaitement de qui il s'agit et tu hoches la tête un instant, réfléchissant aux événements de la journée pour savoir où pouvait bien se trouver le frère de cet homme à cette heure. Cependant, rapidement, l'homme face à toi semble avoir abandonner l'idée de mettre la main sur son frangin, et tu fronces légèrement les sourcils. Pour un homme qui vient pourtant de faire une longue route pour voir sa chair et son sang, ça n'aura pas durer bien longtemps, alors … tu te sens quand même obligée de lui dire ce que tu sais, parce que, pour toi, la famille, ça à son importance. « Il n'est pas ici, en réalité. Il a été envoyé du côté de Yarckel pour une livraison d'équipement, il sera de retour demain, dans la matinée, si tout vas bien. » Et il était évident qu'il n'y avait pas la moindre raison pour que les choses se passent mal sur une mission aussi ridiculement simple. « Si ça peut vous rassurer, il allait très bien cet après-midi. »

Finalement, ce n'était pas grand chose. Finalement, Tigern, tu ne feras pas d'heure supplémentaire. Et c'est probablement pour ça que lorsqu'il réitère son invitation pour boire un verre, tu n'hésites pas vraiment. C'est le genre de chose que tu fais assez régulièrement, et puis, ça ne te feras pas de mal de décompresser et de ne pas juste rester seule dans ton coin. « Et bien je suppose que je peux accepter ça ... » Après tout, son frère n'est pas là, il est venu ici pour rien, du moins, jusqu'à demain matin. « Il y a un bar dans la rue voisine, à moins que vous n'ayez une meilleure adresse à me proposer, c'est un endroit agréable. » Et respectable, surtout. Tu n'avais jamais apprécier l'ambiance des tavernes bruyantes et pleines d'hommes saouls incapables de se tenir. Tu finis par lui désigner le chemin permettant de quitter l'enceinte du QG avant de t'engager dessus d'un pas lent.

Elle est belle. Bon sang qu’elle est belle, Elthan. Et tu dis ça autant parce que des femmes tu en as croisé, tu en as courtisé et tu en as même dévoré certaine, mais aussi parce que tu as les yeux en face des trous. Sans avoir vu d’autres femmes, tu dirais la même chose de cette Mahon. Un nom qui te parle, en plus, puisque le clan Mahon est un des plus bruyant de Karanes. Tu es presque étonné de ne pas l’avoir vu là-bas avant aujourd’hui.

« Vous croyez ça ? Je pense que les nobles se pensent voraces, mais après des années à tuer des titans, je pense m’en sortir pas trop mal pour me défendre. Ton sourire s’étire, et si tu fanfaronnes, tu finis par venir rajouter, avec un regard pour elle. Et puis, en cas de nécessité, les Brigades seront là pour intervenir, j’imagine ? »

Tu es vraiment intenable, mon vieux. Tu es venu là pour ton frère, en te jurant de ne pas faire de remous et te voilà à recommencer tes provocations. En face d’une jolie blonde de surcroît. À croire que tu aimes provoquer, Elthan ! Engager la conversation sur ton frère te permet pourtant de ne pas continuer sur ce chemin tortueux. Tu la laisses se perdre dans ses pensées et quand elle te répond, tu lâches un soupire satisfait. Non pas que Elzéar aille bien, mais qu’il ne soit pas là. On a beau dire, Elthan, tu n’es pas celui qui aime le plus devoir “renouer le lien”. Ce que tu fais, tu le fais pour ta mère.

« Parfait, je transmettrai les nouvelles à notre mère. Tu hoches la tête, et te voilà à ajouter, l’air de rien. Vous n’êtes pas obligé de lui dire que je suis passé, je n’ai pas spécialement envie de l’embêter. »

T’as surtout pas envie qu’il te courre après ou te tombe dessus. Tu es lâche, parfois, mais c’est aussi bien comme ça, tu le sais. Tu iras parler à ton frère, un jour, bientôt sûrement. Pour l’instant tu ramènes touuuute ton attention sur la jeune femme. Elle n’a pas l’air très âgée et déjà gradée, voilà qui en dit long de ses qualités. En tout cas, toi, ça t’intrigue.

« Je vous suis, je ne connais pas du tout le quartier. Si vous voulez, la prochaine quand vous reviendrez à Karanes, passez me voir, je vous emmènerai à la meilleure adresse que je connais. Du donnant donnant, ça vous va ? »

Ça te va surtout à toi, ça voudra dire que tu pourras croiser à nouveau les yeux de la jeune femme une seconde fois. En attendant, tu te mets en route à sa suite, d’abord silencieux parce que, mine de rien, tu es en alerte dans ces rues que tu ne connais pas. Quand le bar se fait voir, tu finis par briser le silence.

« Comment vous appelez vous, d’ailleurs ? Je connais votre famille de nom, j’ai croisé Erin quelques fois lors de missions, mais je ne me souviens pas vous avoir déjà vue. Tu lui coules un regard en coin. Et je suis certain que je m’en serai souvenu. Tu attrapes la porte et la lui tiens avec un sourire charmant. Elthan Varen, pour ma part. Je vous laisse choisir la table, et je vous ramène une consommation ? »

Tu lui proposes aussitôt que le lieu chaud et joyeux vous englobe.

Tu as ce sourire, Tigern, à la fois entendu, et pourtant, un tout petit peu moqueur. Tu vois, toi, tu as cette chance – qui n’en est peut-être pas une en réalité – d’être au cœur d’un chassé-croisé de couleurs et d’armées quand tu rentres à la maison, et que la famille se réunit. Avec Elijah et Wyatt à l’entraînement, Kaiden et Erin à l’Exploration, Mars à la Garnison et toi aux Brigades Spéciales, les Mahon ont cet avantage d’être à peu près au courant de tout. Et puis, surtout, les préjugés sur chaque corps d’armée tournent bien souvent … à la plaisanterie. Du coup, oui, Tig, tu as le recul nécessaire pour plaisanter sur tout, et sur tout le monde. « Vous devriez le savoir, les Brigades Spéciales ne sont pas les plus utiles … » Que tu murmures en t’approchant assez de lui pour qu’il l’entende.

Tu finis par réfléchir à ce qu’est devenu Elzear, il faut dire qu’ici, vous ne faites rien de bien risqué, tu n’irais pas jusqu’à dire que ce n’est pas important non plus, mais au moins, il n’y a pas tellement lieu de s’inquiéter pour un soldat en vert, et ça, tu le sais. Néanmoins, vois-tu, si tu donnes quelques nouvelles, tu t’étonnes un peu de la légèreté avec laquelle cet homme prend l’absence de son jeune frère. Tu aurais été déçue, à sa place, mais toi, tu as cet avantage d’être particulièrement proche de ta famille. Lorsqu’il t’arrive de leur rendre visite – et c’est rare avec ton emploi du temps – rien ne peut t’en détourner, avec lui, il n’aura fallu que la perspective d’un verre. Rien de plus. Cela dit, tu ne vas pas t’en plaindre non plus, puisque tu viens de trouver un peu de compagnie pour ta soirée.

« Et quelle est donc cette adresse magique ? Vous n’êtes pas sans savoir que les Mahon connaissent Karanes comme leur poche. » Et pour toi, la meilleure adresse pour boire un verre ou manger un morceau, ça reste, et ça restera la taverne des Garroway. Mais te voilà donc à le guider jusqu’à ce bar que tu fréquentes occasionnellement. Ce n’est qu’une fois arrivée que la conversation reprend de plus belle, et que tu lui offres un nouveau sourire. « Tigern. » Tu ne donnes que ton prénom, il connait déjà ton nom. « Je suis plus à Yarckel qu’à Karanes, malheureusement, depuis ma nomination au poste de Caporal. » Et autant dire que ça avait été rapide. Dix-huit ans, tu entrais dans les Brigades, vingt-deux ans, et tu étais promue. Tu pouvais remercier ton talent, ton caractère, et ta détermination pour ça, d’autant que tu espérais continuer sur cette lancée. Tu entres finalement dans le bar, et tu retires ta veste pour t’avancer vers une table. « Une bière pour moi. » Parce qu’on ne change pas les vieilles habitudes, que tu sois à Karanes ou ici, tu buvais toujours la même chose, et tu n’avais jamais tenté de te mettre à des alcools plus chers, ou plus fort. « Je m’installe ici. » Que tu finis par dire, en désignant la table de ton choix.

Elle t’a répondue, dans un murmure et tu vois, Elthan, ça te prend de court. Tu es le premier à te moquer des Brigades, et tu connais leur fierté sur le sujet. C’est pour ça que tu piques sans cesse. Pourtant, quand t’es en ville et que ce sont tes compagnons du Bataillon qui sont raillés, parfois tu en ris aussi. C’est de bonne guerre, dans le fond… même si aux Brigades ils ne foutent pas grand-chose s’entend. Tu n’as pas pris la peine de relever, ton sourire flamboyant a répondu pour toi. Par contre quand elle te demande ton adresse en rappelant que sa famille est implantée dans le District presque autant que le District est implanté dedans, tu lui offres un de tes plus beaux clins d’oeil.

« Voyons, un bon consommateur garde ses meilleures adresses secrètes ! Si vous voulez le savoir, il suffira de me faire porter un message quand vous serez de passage chez vos parents, je me ferai un plaisir de vous y conduire. »

Tu apprends son prénom juste avant de la laisser entrer dans le bar et pendant quelques instants, te voilà à l’abandonner pour aller commander deux pintes de la meilleure bière pour toi et ta nouvelle compagne d’un soir. L’homme te sert, il récupère ta monnaie aussi vite et toi, tu jongles avec les consommations au-dessus des clients qui mine de rien semblent apprécier l’endroit vu la fréquentation. Finalement tu soupires allègrement quand tu t'assois en face d’elle, et tu pousses sa boisson devant elle.

« Eh bien, cet endroit est bien sympathique et n’a rien à envier aux auberges de Karanes ! Tu attrapes ta chope et tu la tends vers elle, un sourire ravissant sur les lèvres. A notre rencontre, Tigern. Puisque nous sommes en dehors du boulot, je vous propose le tutoiement ? Je suis absolument mauvais pour vouvoyer, même mon supérieur ne cherche plus à me reprendre. »

Et puis bon Hayden, c’est un ami en plus d’être ton n+1, ça fait des années que tu ne l’as pas vouvoyé autrement que pour te moquer de lui. Mais vois-tu, tu n’es pas non plus le plus mal élevé des soldats du Bataillon. Tes parents se sont battus pour te donner la meilleure qui soit, et si ça s’efface de toi dans 90% du temps, en présence d’une jolie et jeune femme, tu sais te tenir à carreaux.

« Si je peux me permettre, tu as l’air relativement jeune, non ? Je veux dire, pour être caporale. Je sais que les Brigades n’ont que peu de pertes, donc j’en conclus que tu dois être remarquablement efficace dans ton travail. Et comme tu ne veux pas non plus paraître suspect, tu rajoutes. Ça me rassure de savoir mon frère entre de bonnes mains. »

Quel sale type tu es, parfois. Enfin bon, tu en profites, Elthan, mais ça te motive d’autant plus à aller voir ton frère pour renouer avec lui. Chaque chose en son temps, pourtant. Tu descends deux gorgées de bière avec habitude et quand tu ramènes tes yeux à elle, tu n’arrives plus à faire disparaître ton sourire.

« En tout cas, je suis bien content de faire ta connaissance. J’aurai au moins une deuxième figure connue et appréciée dans les Brigades, je me sentirai moins perdu quand je reviendrai par ici ! »

Tu as souris. Tu es pratiquement certaine que, quand il daignera te la donner, son adresse, tu vas la connaître, parce que ton District n’a juste plus le moindre secret pour toi, et ce, même si tu es dans l’obligation de t’en tenir éloignée à cause de ton travail depuis maintenant plusieurs années. Il faut dire que ton ascension s’est faite rapidement au sein des Brigades, et oui, ça en surprend toujours plus d’un, lorsque l’on te voit, et lorsqu’on se rend compte à quel point tu es jeune.

Te voilà donc, à te détendre un peu en attendant que l’homme revienne, et lorsqu’il pousse ta boisson sous ton nez, tu ne fais que passer tes mains autour de la choppe sans pour autant te jeter dessus. « Le tutoiement me va parfaitement ! » Sans doute parce que, tu restes une Mahon, Tigern, tu es bien plus à l’aise avec les familiarités que le beau langage, tu as su t’y habituer, évidemment, par obligation, et tu sais t’adresser aux gens très correctement lorsque les circonstances l’exigent, néanmoins, quand l’occasion se présente de revenir à plus léger, tu ne t’en prives pas.

Tu viens finalement prendre une gorgée de ta bière, essuyant par habitude ta bouche juste après pour éviter la ridicule moustache de mousse qui a tant fait rire tes frères lorsque tu la laissais sans la voir, et puis, tu souris. Un sourire un peu énigmatique, et à la fois un peu taquin. Effectivement. Tu es jeune. Effectivement. Ça surprend. Mais tu sais quoi ? Tu es fière de cet accomplissement et si certaines femmes se vexent ou prennent la question de l’âge pour un affront, toi, tu n’as jamais eu de soucis à parler de ton nombre d’année. « Vingt-deux ans ! » Que tu lui lances, tout en prenant davantage tes aises sur ton siège. « Disons que j’ai su faire mes preuves, et quand l’occasion s’est présentée, j’ai su la saisir. » Tu es un battante, Tigern. Tu ne te laisses faire par personne, et s’il y a quelque chose que tu convoites, tu ne laisses personne marcher sur tes plates-bandes non plus. Lorsque ce poste s’est libéré, tu as bossé, et tu t’es mise en avant. Tu l’as raflé au nez et à la barbe de soldats plus vieux, et quand tu l’as obtenu, c’est tout juste si tu n’as pas le culot de les regarder de haut en tirant la langue. D’ailleurs, tu n’as jamais eu peur de t’imposer face à des soldats plus âgés. Tu as le grade pour le faire. Tu le fais. « Connue, oui. Appréciée … ça reste à voir. Peut-être que tu me détesteras à la fin de cette soirée. » Même si, tu dis ça, hein. Mais tu comptes bien t’arranger pour ça ne soit pas le cas. Parole de Mahon.