*Un visage, horrible, un sourire carnassier, des yeux brillants… Tu renverses la tête en arrière. Pour voir arriver la mort en face. Et tu cris même pas non, lorsque tu sens ses doigts agripper ta jambes. Tête en bas, tu vois doucement la morte s’approcher tandis que tu sens le poing du monstre se refermer sur toi, t’empêchant de respirer. Ses dents couvertes de sang s’écartent laissant apercevoir des corps qui gisent sans vie au fond de sa gorge que tu vas bientôt rejoindre…*

Tu pousses un cri et te redresse en sursaut, trempée de sueur. Il te faut un long moment pour te débattre avec tes draps, que tu penses être encore la main du titan, et tu finis par tomber sur le sol avec un bruit sourd. C’est lorsque tu finis par te cogner contre le coin du lit que tu laisses échapper un grognement et que tu te rends compte de l’endroit où tu te trouves. Ta chambre. Le quartier général. Il te faut moins de quelques secondes et un regard paniqué sur ce clapier à lapin pour te rendre compte que tu étouffes et que tu as besoin d’air. Les murs de la chambre se rapprochent, te rappelant la gueule du monstre, et l’obscurité de la chambre ajoute à ton angoisse. Tu saisis ton pantalon, enfiles prestement tes bottes et n’ajoutes rien de plus sur ce léger débardeur blanc qui te sert pendant la nuit. De l’air. De l’espace. Vite.  

Ta respiration est haletante. Sifflante. Tes poumons te brûlent alors que tu reprends difficilement une nouvelle gorgée d’air qui finit par arracher ta gorge sèche. Tu y es presque… presque. Tu la vois là-bas, cette petite rivière pas très loin du quartier générale. Cette petite rivière qui est ta chute, ton but. Tu prends une nouvelle inspiration, serre les dents et.. allonges la foulée, désirant mettre fin à ce supplice le plus rapidement possible. Tu vois, c’est con. T’es franchement épuisée. Tu dors mal, pour dire presque pas depuis que tu es rentrée. Mais t’as ce besoin urgent parfois de devoir courir … pour quoi au juste? Sans doute laisser retomber la pression. En ton fort intérieur tu te dis aussi qu’au moins tu seras parée si jamais tu es à nouveau seule dehors. Jamais plus tu ne seras un poids sans ce maudit équipement.

C’est une fois arrivée à ce cours d’eau que… tu te laisses tomber à genoux devant l’eau et tu portes tes mains en coupelle pour étancher ta soif. T’es toute vide Astrid. Toute vide, toute épuisée, toute… chamboulée depuis ton retour entre la sécurité des murs. T’es pas morte non. Mais t’as failli. Et quoi que tu fasses, la noirceur et l’odeur pestilentielle de la bouche de ce titan te suit où que tu ailles. Si lorsque tu étais hors des murs tu as tenté de conserver une attitude positive et de veiller à ce que les filles ne s’entretuent pas… au final te voilà aujourd’hui au bout du rouleau.

Tu vois, que certains hommes se soient mis à votre recherche tient du miracle. Que Kelsier se trouve parmi eux relève… tu sais pas. Tu ne sais pas quoi penser de tout ça. De cette mission de sauvetage qui aurait pu être un véritable suicide. Qui aurait pu leur coûter la vie en plus de la votre. Bien sûre que tu es heureuse qu’ils soient venus, jamais dans tes rêves les plus fous tu n’aurais pu penser à ça. Mais tout est si… chaotique. Il t’est impossible de réfléchir à tout ça. Tout est allé trop vite. Trop loin. Tu sais qu’ils ont pris une décision insensée, une décision qui aurait pu leur coûter leur place à tous, leur rang. Leur vie. Alors tu vois… Il y en a eu pourtant des morts, des disparus… Mais jamais personne ne se sont mis à leur recherche, jamais personne n’a cherché à retrouver ces corps. Alors… tu te dis que si ces hommes sont venus, c’est qu’il doit bien y avoir quelque chose derrière, non? Tu l’as bien vu, à cette manière dont ils se sont écharpés avant de se jeter dans les bras les uns des autres. Tu l’as bien vu, à leur regard de tueur, leur visage vide…

Tu l’as même vu chez Hodgen ouais… à sa manière de te serrer contre lui après t’avoir fichu sur son maudit canasson sans dire un mot. Pourtant une fois entre les murs… il t’a embarqué jusqu’à ta chambre, t’a dit d’y rester en sécurité et après un baiser il est… parti ouais. Il s’est cassé comme ça, sans rien dire de plus, sans rien faire d’autre non plus et… et tu sais toujours pas ce qu’il signifie ce baiser en fait. Et… franchement Astrid, tu sais plus où t’en es. Tu ne sais plus où donner de la tête avec cet homme. Parce qu’il vient, il est là, tu es celle qu’il prend sur son cheval, celle à qui il accorde à peine un regard mais serre si fort l’instant suivant que… t’as l’impression d’être importante pour lui et… et bon dieu Astrid, t’es tellement épuisée que tu pleurerais presque de frustration là, à cafouiller avec tes sentiments et tes pensées.

Alors après avoir étanché ta soif, tu finis par te laisser retomber dans l’herbe mouillée, les yeux tournés vers ce ciel étoilé que tu aurais cru ne jamais revoir. T’as besoin d’air. T’as besoin d’espace. Et pourtant… même là tu ne te sens pas en sécurité, proche de ce bois, dans la nuit, alors que les arbres projettent des ombres menaçantes. Pourtant tu finis par fermer les yeux, juste cinq minutes, tout en restant sur tes gardes.