Tu soupires. Tu te passes une main sur le visage, lasse. La fin de soirée à l’auberge avec Theresa ne s’est absolument pas passée comme prévue. Bagarre, rumeurs répandues comme une traînée de poudre… Tu sens à nouveau ton coeur battre à la chamade. Rempli de colère et… D’une autre chose que tu ne veux pas découvrir. Du moins pas encore. Le visage peiné et fatigué de Hodgen hante encore tes pensées, ainsi que le restant de la nuit... Pourtant dès le lendemain de la bagarre tu étais revenue au quartier général, la tête haute. Mais un nouveau truc t’était tombée sur le coin du bec. Convocation. Tu veux pas faire ta raclette, mais cette histoire commence à dauber du cul. Alors après cette fulgurante annonce posée par le major, après avoir entendu un haut gradé parler de « sanction » à l’encontre de Kelsier, mais aussi du reste de son escouade… Tu te dis que tu ne peux tout simplement pas rester là les bras croisés à attendre que le couperet tombe. Pour le moment t’as même pas entraperçu Hodgen, et alors que tu te dis que tu vas te mettre à le chercher toute la journée s’il le faut, ton regard est attiré par un éclat blond qui essaye de se faire la malle discrètement vers les écuries.

Ton sang ne fait qu’un tour. Cette tignasse blonde, tu la reconnais. Alors tu avances rapidement vers elle, tu t’approches dans son dos et avant qu’elle n’entre dans l’écurie, tu lui attrapes le bras et la tire derrière, à l’abri des regards. « Viens. J’ai besoin de te parler. » Ton ton est calme, mais sans appel. Tu ne la laisseras pas filer. Tu la tournes pour te mettre face à elle, et tu regardes autour de toi pour vérifier qu’il n’y a aucune oreilles indiscrètes. « Saskya… J’ai besoin de toi. » Tu vas droit au but, il n’y a que trois jours avant la convocation, tu n’as pas le temps de tourner autour du pot. « J’ai besoin de comprendre ce qu’il s’est passé hier. » Oui parce que t’as fini par comprendre qu’elle s’est un peu foutu de ta pomme quand elle t’a rattrapée et qu’elle t’a demandé ce qu’il se passait. Elle le connait le poivrot… « Est-ce que… » Tu n’arrives pas à croire que tu vas poser cette question tout de même. Tu fermes les yeux, soupires, et poses tes deux mains sur ses épaules, la regardant dans les yeux. « Est-ce que Hodgen a déjà eu un comportement déplacé envers toi? Je ne parle pas de ses rabrouements… Est-ce qu’il t’a… Déjà touchée sans ton autorisation? » Tu espères qu’elle te dira non, tout simplement parce qu’au plus profond de toi tu es convaincue que ton caporal n’a rien fait, et tu remuerais ciel et terre pour le prouver. Mais si toi tu cherches à protéger Hodgen… Tu te doutes bien qu’elle protégera l’autre homme. Tu l’as vu, elle s’est déjà dressée contre ton caporal hier, elle peut très bien recommencer, une femme amoureuse est prête à tout. Alors tu te passes une main sur le visage, soupirant. Tu te redresses et tu laisses ton regard errer sur les arbres qui vous entourent. « Je ne cherche pas à faire condamner quiconque d’accord? De ma position je vais… Tenter de défendre tout le monde, même toi Saskya même si je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre. Mais je ne connais pas cet homme qui a agressé Kelsier et… Je pense dans tous les cas qu’il s’agit d’un malentendu. » Tu te masses les tempes. « On est tous convoqué. On est une équipe Saskya, il faut qu’on se soutienne. Si c’est vraiment le cas j’aimerai prouver que tout cela n’est qu’un malentendu. Les sanctions seront plus légères pour tout le monde. » Quoi que, tu sais pas trop si ça va changer quelque chose pour ce clampin d’ivrogne puisque tout découle de lui, mais si tu réussis à convaincre Saskya de faire la lumière sur cette affaire, et de redonner sa place a Kelsier… Tu es prête à aider l’autre homme, même si tu as juste envie de lui casser le nez. « Est-ce que tu veux bien me dire ce que tu sais s’il te plait? Je ne te jugerai pas.»

Ce soir là, tu avais probablement dépasser les limites. Depuis que tu étais entrée au service d'Hodgen, qu'il avait choisi de t'intégrer à son escouade, tu avais appris à le respecter. Au début, c'était difficile, tu t'en souviens parfaitement. Le Caporal n'avait jamais eu la réputation d'être un homme facile à cerner, encore moins à supporter et toi, tu étais fougueuse et irréfléchie, parfois. Incapable de contenir le feu qui te ravageais constamment, tu avais tourner, comme un lion en cage, tu n'avais fait que le tester, encore et encore, et puis … tu avais compris. Sans aller jusqu'à l'avoir complètement apprivoiser, tu avais appris à faire avec. Tu avais ta place, il avait la sienne. Il donnait les ordres, tu obéissais et au fond, à tes yeux, Kelsier était passé d'un gros enfoiré à juste … ton supérieur. Un sale type parfois, ça oui, mais tu étais assez solide pour l'endurer, alors au fond, ça avait toujours fonctionner. Ça fonctionnait même relativement bien, et ce, depuis plusieurs années maintenant. Jamais tu n'avais eu une parole plus autre que l'autre, depuis que tu étais rentrée dans le rang, tu l'écoutais, tu faisais à sa manière, parce que tu avais appris qu'il savait bien mieux que toi comme gérer certaines choses. Jamais tu n'avais oser ne serait-ce qu'effleurer les barrière, alors, encore moins les dépasser, ou alors jusqu'à les défoncer.

Mais là … Tu n'avais pas eu le choix.

Tu aurais tout aussi bien pu ne pas prendre partie. Tu aurais pu … ignorer, aussi. Le fait est que tu n'avais pas pu, qu'il avait fallu, à un moment donné que tu les arrêtes. Pour Hodgen, un peu. Pour Micah, beaucoup plus. Pour ne pas prendre le risque qu'il soit blessé plus de raison, pour lui éviter de gros ennuis aussi. Résultat, alors que tu avais attendue, plantée devant lui que la foule se dissipe, lorsque tu t'étais retournée vers lui, ça avait été pour te rendre compte qu'il avait filé en douce. Tu n'avais pas pu lui remettre la main dessus depuis la veille, ça commençait à t'inquiéter, évidemment, mais il avait promis de toujours de te revenir. Trois jours, trois semaines, trois mois, il reviendra, c'est ce qu'il avait dit. Tu n'avais qu'à attendre. Et en attendant, tu avais des choses à faire, une vie à mener, tu ne pouvais pas rester enfermée chez toi, d'autant que ça allait bien mieux de ton côté. Du coup, tu t'étais glissée au QG pour rendre visite à Chef Al, peut-être l'emmener en balade, ça te ferais probablement du bien toi aussi, et puis, plus tu te tenais éloignée de cet endroit, mieux ce serait. Tu n'avais aucune envie qu'on te tombe dessus, la nouvelle avait déjà fait le tour du District, tu avais entendu parler de cette convocation, et tu avais le ventre noué en te disant que ça allait forcément tourner au vinaigre, que ton équipe entière chargerait probablement Micah, et que tu allais probablement encore te retrouver contre eux, parce que tu ne pourrais pas t'empêcher de le soutenir.

Mais alors que tu t'apprêtes à entrer dans l'écurie, tu te sens tirée en arrière, et tu te retrouves nez à nez avec une Astrid qui, si elle ne semble pas vraiment en colère, demeure visiblement bien déterminée à avoir une conversation avec toi. Elle t'entraîne à sa suite, un peu à l'écart, dans un coin, et tu soupires lourdement en appuyant ton dos contre un arbre, pour l'écouter, au moins ça. Et dés qu'elle commence son discours, tu souffles. « Je te l'ai dis, j'en sais rien, j'ai rien vu, je suis arrivée trop tard et j'ai rien compris. » C'était vrai. Tu avais entendu bien des choses, tu n'avais cru à rien, alors, au final, tu ne connaissais toujours pas les raisons de cette subite bagarre. D'ailleurs, en ce qui te concernait, tu n'avais du coup pas pu poser la question à Micah ou même régler tes comptes avec cet idiot, il avait détalé avant que tu ne puisses le faire, honteux, sans doute, tel que tu connaissais à le connaître. Mais tu vois, il ne te faut pas bien longtemps pour tout saisir, lorsqu'Astrid te poses sa question. Elle bafouille elle-même sur certains mots, comme si cette rumeur à la noix avait réussie à l'atteindre, elle aussi. Et c'est bête, hein, mais ton premier réflexe face à ça, c'est de pouffer de rire. Parce que c'est ridicule, parfaitement ridicule, et que franchement, bien idiots sont ceux qui iront jusqu'à croire à une chose pareille. « C'est une blague ? » Tu sais bien que non, il n'y a qu'à voir sa tête. « Pas du tout, c'est pas son genre. Ne me dit pas que tu crois un truc pareil … on parle d'Hodgen, Astrid. » Tu ne crois pas l'avoir déjà tourner autour d'une femme, encore moins avec une dame au bras, jamais. Si c'était le cas, il le cachait bien. Dans tous les cas, c'était probablement le dernier homme que tu suspecterais d'abus de pouvoir pour obtenir de telles faveurs. « Il ne m'a jamais touchée, et il n'a jamais toucher personne d'autre non plus. » De ça, tu ne pouvais en être certaine, toutefois, tu sers les poings, et tu te remets à souffler, puis à piétiner. C'était ça, alors le sujet de la bagarre ? Tu n'oses même pas imaginer, la réaction immédiate de Micah lorsqu'une telle chose lui a été mise sous le nez. Tu sais qu'il a de gros soucis pour se contrôler. Tu sais qu'il s'énerve facilement, et tu as déjà eu l'occasion de constater que, lorsque ça te concernait, c'était d'autant plus impressionnant...

« Ça sert à rien de me faire des grands discours mélodramatiques. J'ai saisis … » Ça t'agace, tiens. Tu n'y peux rien, toi. Tu sais bien qu'elle doit vouloir savoir pourquoi elle va finir convoquer, tu sais bien qu'elle doit vouloir savoir quoi dire, et ne probablement pas prêcher le faux trop maladroitement. Pourtant, ça t'agace, parce qu'au fond, tu n'y peux rien. Ça te retombe sur le nez, toi aussi. « Il est pas méchant, c'est pas … c'est pas juste un ivrogne sans cervelle, il est juste ... » Particulier. Tu ne sais même pas comment expliquer les choses quand ça concerne Micah. Ça te semble juste bien trop compliqué, trop gros, trop tout. « Il a du se monter la tête, il est … jaloux. » Et atrocement possessif, aussi, mais ça, tu le gardes pour toi. « Il est parti, hier, j'ai pas pu lui parler, je sais même pas où il est alors je peux pas t'éclairer plus que ça. Il veut juste me protéger. » Et tu viens passer une main sur ton visage, avant de t'affaisser un peu plus contre ton arbre. « C'était juste une erreur... »

Tu es lasse Astrid. Bien lasse. Tu n’as pas vu la nuit passer, tu n’as presque pas dormi. Tu as passé ton temps avec ton caporal, tu l’as soigné, t’as tourné en rond pour essayer de démêler le vrai du faux, pour essayer de trouver une solution. Et la seule pensée à peu près cohérente qui a fini par rester est que d’une manière ou d’une autre, Saskya est lié à cette affaire. Peut-être contre son gré, mais dans tous les cas, toi t’as besoin d’avoir son point de vue pour savoir ce que tu vas pouvoir faire. Alors elle soupire, profondément, mais au moins elle n’a pas le mérite de chercher à se tirer. Chose que tu n’aurais absolument pas tolérée de toute manière.

Mais elle reste là, elle te répond. Elle ne sait rien. Et t’es pas du genre à mettre en doute la parole des gens que tu côtoies, mais pour le moment tu restes tout de même sur tes gardes, parce que tu cherches uniquement à démêler le sac de noeuds que tu as en tête. Elle est arrivée lorsque la bagarre a commencé c’est vrai, mais c’est pourtant bien son nom qui a été cité, et c’est bien elle qui s’est interposée entre Hodgen et cet homme. Dans tous les cas elle a un lien avec l’ivrogne, que tu penses être fort au vue du poing envoyé dans le nez de ton caporal. Et alors que tu t’apprêtes à lui répondre, un lance un bref rire qui te fait froncer les sourcils et enflamme un peu plus là colère qui gronde en toi. « Pas du tout, c’est pas son genre. Ne me dis pas que tu crois un truc pareil… on parle d’Hodgen Astrid. Il ne m’a jamais touchée, et il n’a jamais touché personne d’autre non plus. » Et cette phrase… Cette phrase te fait fermer les yeux et pousser un long soupir de soulagement. Tu fais un pas en arrière tandis que visiblement Saskya réfléchit de son côté. Tu te passes une nouvelle fois la main sur ton visage, laissant un maigre sourire sans joie apparaître. « Merci… merci d'avoir confirmer ce que je savais déjà. » Et tu te sens affreusement mal Astrid pourtant, d’avoir laissé les paroles de l’autre con planté cette minuscule graine en toi. « Mais ce n’est pas moi qu’il faut convaincre… ce sont tous ces villageois qui… » Tu regardes droit devant toi, mâchoire serrée et poings crispés. « Je les ai entendu. Je les ai entendu croire ton… ami. » Tu fais une pause avant de reprendre, ayant en tête l’image de Kelsier s’affalant sur toi. « Ils n’ont même pas cherché à savoir si c’était faux. Leurs jugements sont faits. » Et toi Astrid, toi ça te… T’as vu les regards qu’ils lançaient à Hodgen, t’as vu ces murmures, t’as entendu déjà, les mots qui se déformaient dans la bouche des uns des des autres… Tu sais ce que peux faire une rumeur. Tu sens la nausée monter. Pire encore lorsque les yeux de Hodgen reviennent te hanter, remplis de… lassitude.

Tu te retournes vers elle lorsque son ton devient sifflant. Tu sembles l’avoir agacée mais clairement… aujourd’hui c’est le cadet de tes soucis. Tu reviendras sans doute t’excuser quand tout ira mieux, mais pour le moment tu veux juste organiser la défense de tes frères d’armes. « Il est pas méchant, c’est pas… c’est pas juste un ivrogne sans cervelle, il est juste… Il a du se monter la tête, il est… jaloux. » Tu hausses les sourcils. C’est même plus de la jalousie à ce train là. Mais tu ne dis rien. Non tu ne dis rien parce que quand on aime quelqu’un au point de se dresser face à une personne qu’on respecte, au point de se dresser face à quelqu’un qui peut détruire votre carrière… On trouve juste des prétextes aux actes. Et tu la vois. Tu vois qu’elle est pas bien de n’avoir pas pu le suivre. Tu vois qu’au final, elle semble aussi épuiser que toi. Alors tu t’approches d’elle tandis qu’elle passe une main sur son visage. Et tu t’affaisses contre l’arbre, à ses côtés. Une erreur… Ouais une erreur. Mais qui peut coûter cher à beaucoup de monde. A ton caporal, mais aussi à la blonde à tes côtés. Mais ça tu ne lui dit pas, tu penses avoir saisi que t’as pas besoin d’insister. « Je suis désolée. » Est-ce que tu l’es vraiment Astrid? Oui sans doute. Si Kelsier s’était éclipsé et que tu n’avais pas pu le rattraper… Tu serais de très méchante humeur ce matin, et sans doute ne te comporterais-tu pas d’une manière aussi… conciliante avec elle. Alors tu t’excuses. Tu t’excuses parce que si ce n’était pas elle qui avait terminé la bagarre… Tu l’aurais fait à sa place, et c’est son ami que tu aurais frappé. Tu t’excuses parce qu’elle se trouve mêlée à tout ça alors que dans le fond, elle a sans doute rien fait pour le mériter. « Tu veux bien aller voir un plus haut gradé pour essayer de dénouer la situation avant la convocation? Si tu veux je t’accompagne. Si tu veux même, on y va toute ensemble, toutes les filles de l’escouade pour expliquer que ces rumeurs sont fausses… » Et tu t’excuses parce que oui Astrid, t’es quand même obligée de lui demander de rendre des comptes. De lui demander de dire la vérité pour aider Hodgen a retrouver le respect auprès des citoyens. Tu regardes à nouveau devant toi, pensive. « Qui est-il? » Demandes-tu doucement. « Qui est-il pour que t’en viennes à risquer ta place dans l’armée? »

Elle semble tellement soulagée, lorsque tu lui annonces que tu n'y crois pas, que toute cette histoire est bien évidemment complètement ridicule. Son soulagement est si perceptible, que tu décèles à travers toute l'inquiétude que cette simple rumeur avait pu provoquer en elle, si bien que, durant un instant, tu fixes Astrid avec une certaine insistance. Elle n'est pourtant pas là depuis si longtemps. C'est comme Theresa, quand on compare avec toi, on peut littéralement dire qu'elles viennent toutes les deux de débarquer, et pourtant, si toi, tu peux facilement laisser Hodgen se dépatouiller avec ses ennuis sans t'en inquiéter le moins du monde et bien … ça ne semble pas être son cas. Et ça te fais te questionner. Sur toi-même, dans un premier temps. Serais-tu finalement si insensible, Saskya ? Tu sais bien que tu as changé, ces dernières années, que tu as grandis et évoluer de façon à ne plus être celle que tu étais au début de ton adolescence. Tu as décidé de ne plus te soucier des autres, parce que, ça t'avais plutôt mal réussi, finalement. Mais avais-tu réussi au point d'être totalement aveugle à la détresse des autres ? Est-ce que le mal qui frappait ton entourage t’apparaissais toujours si dérisoire, au point que tu ne t'en préoccupes même pas … ? A moins que …

Sur ton visage, s'installe cette moue subitement très inquisitrice. « Tu m'as l'air bien … soulagée. » Que tu finis par simplement constater. Et pourtant, tu n'es pas la plus à même de voir les choses, ou alors si, juste en ce moment, parce que t'es aux prises avec le même genre d'inquiétudes stupides. « J'ai presque envie de te demander à quel point tu as fais ... » Tu allais la dire la bêtise. La bêtise de s'attacher à Hodgen. Et pourtant, tu te rends compte que tu n'as pas le droit d'émettre le moindre jugement de ce genre, vu la bête à laquelle tu t'es attachée de ton côté. « A quel point tu t'es attachée au Caporal. Mais je suppose que ça ne me regarde pas ... » Et surtout, que c'est pas spécialement le moment pour ça. A la place, tu tends la main, tu viens la poser sur son bras, dans un geste qui se veut un peu rassurant, sans doute. « C'est rien que des paysans qui ne comprennent pas la portée de certaines choses. Ignore. »

T'as ce soupire qui s'échappe. Et tu te mordilles la lèvre un petit instant. Elle est désolée … pourquoi faire ? Elle n'a rien fait, elle. Elle n'est responsable de rien du tout. Encore moins responsable de la bêtise de Micah, d'ailleurs. Il a fuit, ces derniers temps, ça a l'air de lui arriver souvent et toi, quand ça lui prends, tu ne peux faire que l'attendre, parce qu'il est inutile que tu te mettes à lui courir après, tu le sais. « Je peux faire ça … Même si je pense que se présenter à de hauts gradés maintenant serait une erreur. » Tu n'auras pas la bêtise de le faire, toi. Tu sais que ça pourrait vous desservir, tu t'es toujours méfier des gradés plus haut que Caporal, de ce que tu as pu voir d'eux, tu ne les aiment tout simplement pas. « Par contre, on peut rétablir la vérité au QG, et se servir de personnes comme Bailey, ou d'autres Caporaux pour faire passer le mot et désamorcer la bombe. On peut rien faire pour la convocation, mais on peut bien tenter de défaire les âneries qu'a racontées Micah. »

Tu t'étires, légèrement, et puis à sa question, tu te laisses juste glisser, et tu viens t'asseoir par terre. Tu hausses les épaules. « J'en sais rien. » Tu n'as pas de réponse à ça, tu n'as pas encore les réponses à tout concernant Micah, c'est l'un de tes plus gros problèmes du moment. « Je peux juste pas m'en empêcher … j'y tiens, c'est tout. » Tu étales tes jambes sur le sol, un moment, avant de les ramener à toi, de les replier, et de poser ton menton sur tes genoux. « Je te filerais un coup de main, et j'assumerais pour le reste. T'as pas à t'inquiéter de tout ça, Astrid. »

Tu regardes sans les voir les arbres qui se dressent face à toi. Comment as-tu pu avoir ne serait-ce qu’une minuscule pointe de doute au sujet de Kelsier. C’est tellement… Agaçant. Tu en as honte. Honte de toi même. Tu avais combattu ce minuscule doute toute la soirée durant. Tu avais vu Hodgen abattu. Tu l’avais soigné, tu t’étais bagarrée même avec lui pour panser ses plaies… Et t’avais même fini par dormir dans son lit. Tu n’as pas besoin d’avoir la confirmation de Saskya pour savoir ce que tu connais déjà au plus profond de toi. Il est tout à fait innocent. Ton soulagement est sans doute beaucoup trop perceptible, à dire vrai tu ne cherches même pas à le cacher. A tort. Puisqu’elle te fixe avec un regard inquisiteur et qu’elle te lance quelques paroles à la figure… Qui te mettent immédiatement sur tes gardes.

Tu te renfermes subitement sur toi même. Ton émotivité te perdra parfois Astrid, tu le sais. A trop s’occuper des problèmes des autres on finit par s’en créer. La preuve hier. « Je ne suis pas attachée à lui. » Rétorques-tu un peu plus vivement que ce à quoi tu espères. Mais est-ce vrai? Si tu t’écoutes, si tu regardes au plus profond de toi… Ne vient-elle pas de te lancer la vérité à la figure? N’a-t-elle pas vu en toi quelque chose que tu ignores encore? Tu lui lances un regard, reprenant ta contenance. « Je veux juste rétablir la vérité c’est tout. Je ne supporte pas les jugements hâtifs. » Mais t’as l’impression que ça ne sera pas suffisant. Et s’il y a bien quelque chose que tu ne veux pas subir, c’est bien les jugements. Ceux des autres, mais aussi ceux de ton équipe. Alors tu cherches désespéremment une autre explication. Et tu finis par en trouver une qui convient, et qui réussi même à te persuader du pourquoi du comment t’en as fini par faire des pieds et des mains pour rentrer chez ton caporal pour le soigner contre son gré. « Mon… Ancien compagnon était sous ses ordres. » Lâches-tu dans un soupir. « Il avait le plus grand respect pour lui. Je ne pense pas qu’il aurait laissé passer ça… »

Et elle vient poser sa main sur ton bras. Et tu pousses un petit ricanement. « C’est juste que j’ai peur que ça prenne… Beaucoup trop d’ampleur tu comprends? Déjà que la population n’apprécie pas l’exploration… Si ce genre de rumeur vient entacher notre réputation… » C’est ça. Trouves toi des excuses pour venir en aide à Hodgen. T’en es bien consciente dans le fond, que tu fais surtout ça pour que ton caporal retrouve sa fierté. Alors quand elle te dit qu’elle veut bien t’aider quand même… Ça te soulage. « Je ne compte pas aller voir de hauts gradés » Hors de question que cette histoire parvienne à de mauvaises oreilles. « D’ailleurs je me demande comment cette histoire est arrivée aux oreilles du major… » Soupires-tu, contrariée. « J’aime pas trop beaucoup ça. » Nouveau soupir. « Mais oui tu as raison, on peut au moins tenter ça. Que les autres caporaux ne regardent pas Hodgen comme s’il était un véritable connard. »

Tu finis par poser un bras sur son épaule tandis qu’elle est assise à tes côté, menton sur les genoux. « Je comprend. » Ouais, tu comprends vraiment Astrid, même si tu lui avoueras jamais que si tu avais été en état de le faire à la fin, c’est toi qui aurais donné un coup sur le nez de cet ivrogne. Sans doute parce que t’as peur qu’elle te demande pourquoi tu te serais battue pour Hodgen alors que t’es pas là depuis si longtemps que ça. « Je suis là pour toi tu sais. Si tu as… Si tu veux parler… De quoi que ce soit. Ma porte est ouverte. » Et t’es sincère Astrid, tu l’es toujours. T’as le coeur sur la main, t’aimes voir personne dans le pétrin, et t’aimes pas non plus les voir abattus, tristes… T’as besoin d’amener ton petit de rayon de soleil dans la vie de chacun. « Et je ne te laisserai pas. Je crois qu’on est tous embarqué dans le même merdier de toute manière. » Et s’il y a bien quelque chose sur laquelle on peut compter, c’est bien ta fidélité, t’es même prête à te mettre en porte-à-faux s’il y a besoin de dédouaner quelqu’un. Juste parce que cette escouade commence à devenir une famille pour toi… « Aller viens. On va aller voir Theresa et les autres. Faut que je lui râle un coup dessus d’ailleurs, elle a dû repartir sans moi hier après la bagarre. » Que tu plaisantes alors que c’est tout simplement toi qui l’a laissée tomber pour soigner Kelsier…

Pas attaché à lui, hein. Disons, qu’elle vient probablement de te cracher ça de façon un peu trop subite, et virulente pour que tu acceptes de la croire sur parole. Ça vient même étirer un léger sourire, clairement moquer sur tes lèvres. Cependant, vois-tu, tu n’es pas disposée, ou encore d’humeur à l’enquiquiner avec ça, avant de t’amuser de mettre le nez dans les histoires des autres – ce qui n’est d’ailleurs pas ton genre à l’origine – tu sais que tu as les tiennes à régler. Et dieu qu’il y en a, des choses à faire de ton côté. C’est pour ça que tu hoches la tête, que tu fais mine d’être très compréhensive. Elle veut rétablir la vérité, c’est noble, et louable de sa part, tu peux bien t’arranger pour lui donner un coup de main, aussi, parce que quand on y pense, tu es un peu à l’origine de tout ce remue-ménage, même si tu n’as rien demander à personne, surtout pas à Micah, tiens. Quand on y pense, tu t’es retrouvée mêlée à tout ça par la force des choses, si ça n’avait pas été pour cet imbécile qui avait cru bon de s’installer un peu trop confortablement dans ton cœur, tu ne serais d’ailleurs même pas intervenue. Quelle poisse …

Et puis la voilà, qui se met à t’exposer ses raisons. De bonnes raisons, d’ailleurs. Et des raisons assez surprenantes, en réalité. Au point que tu en viennes à tourner la tête vers elle. « C’était toi, la nana de Casey ? » Tu te souviens de parfaitement de Casey, parce que tout comme toi, il était l’un des premiers recrutés dans l’escouade du jeune Caporal Hodgen, il y a plusieurs années. Moins de deux ans à son service et puis … il avait été emporté au cours d’une mission, et toi, tu te souvenais parfaitement avoir compris à quel point ça avait affecté ton supérieur. Même si tu n’avais rien dit. Et puis, tu te souviens encore du soldat souriant quand il évoquait la femme qu’il aimait. Tu le trouvais stupide, parfois. Disons qu’aujourd’hui, tu as probablement un peu changé d’avis. « Je vois … Et je t’avoue que je n’en sais rien. Il y avait pas mal de monde, hier, n’importe qui aurait pu aller tout lui raconter. » En tout cas, il était clair que ça donnait envie de fouiner, et de savoir. Tu n’avais jamais trop aimé les cafteurs, et étant donné qu’en l’occurrence, ça te mettait dans la mouise aussi, tu aurais bien joué des poings encore une petite fois pour faire la fête au crétin qui avait cru bon d’aller tout balancer au Major.

Tu finis par soupirer, un peu lourdement. Elle est gentille Astrid, bien plus douce, bien plus compréhensive que toi. Plus ouverte aux autres. Mais tu n’es pas du genre à te confier si facilement, encore moins à aller raconter tes problèmes aux autres, alors, tu te contentes de lui sourire, un sourire gêné d’ailleurs, parce que tu te rends compte que, peu importe qui passe dans cette escouade, tu n’as jamais été foutue d’être autre chose qu’une simple collègue pour eux. Même pas une camarade, encore moins une amie. Tu ne sais même pas ce que c’est, que d’être une amie. « T’en fais pas pour moi, je m’en sortirais. » Comme toujours, c’est ce que tu te dis, lorsque tu te lèves pour lui emboîter le pas. Tu vas au moins faire ça. L’aider.