Il n'y a probablement pas de moment plus excitant pour toi que les veilles de mission, Eden. Ou si. Les missions elles-même, mais ça, c'est une autre histoire. A chaque fois qu'une sortie à l'extérieur des murs se profile, c'est la même histoire, on ne te tiens plus. La plupart des soldats du Bataillon, généralement, en profitent pour passer du temps en famille, pour les plus simples des soldats, c'est toujours quartier libre, sauf obligation. Cependant, toi … Toi, tu ne fais que l'effort de passer à la maison pour embrasser tes parents, tes frères, tes sœurs, surtout la dernière et puis, tu te retournes d'où tu viens aussi vite que tu es venue, et non, ça ne choque personne parce que chez les Garroway, on est plutôt bien habitués à tes humeurs, et heureusement d'ailleurs.

Tu as bien trop à faire, du moins, de ton point de vue, pour te permettre de passer la nuit à la maison familiale. Tes parents t'ont déjà forcée à avaler un repas, un vrai, et à la fin du repas qui t'as semblé interminable, tu ne tenais déjà pratiquement plus en place si bien que tu étais littéralement tombée de ta chaise en te relevant lorsque ton père t'avais enfin autorisée à sortir de table. Et oui. Trente ans passé, mais tes parents avaient toujours autant d'autorité sur toi. Et en un sens, pour une fille dans ton genre, ça avait un côté rassurant. Du coup, oui, tu étais revenue jusqu'au laboratoire et là, tu avais mis un bazar sans nom. Tu avais travailler sur plusieurs croquis que tu avais enfin réussi à accrocher à leur place pour qu'ils soient étudiés. Ensuite, tu avais relu quelques rapports, tu avais rédiger ceux que tu avais en retard, et puis, en te réinstallant pour dessiner, tu avais fini par t'endormir sur la table de travail.

Et tu sais quoi ? Comme toujours, tu t'étais réveillée en fanfare. Il y a cette idée, cette théorie, peu importe quel nom ça pouvait bien porter qui s'était insinué en toi au beau milieu de ton sommeil, ça t'avais tiré de tes songes, tu t'étais remise à tes croquis de façon plus furieuse encore, dessinant cette fois les plans pour une nouvelle idée de piège à titan et une fois que tu avais jugé ça compréhensible – ça ne l'était pas le moins du monde – tu étais sortie en courant à travers les couloirs, et tu avais parcouru la moitié du QG comme ça. Les cheveux en pétard. Les traces d'encre sur les joues. Tes papiers entre les doigts. Tu ne sais même pas qui tu cherches … quelqu'un avec qui partager ça. Gémaël. Alwan. Un Ceylian dans l'idéal, oui, mais n'importe qui pourrait faire l'affaire en ce qui te concerne, quand bien même il n'est pas donné à tout le monde de te supporter.

C'est comme ça que tu finis par entrer comme une furie là où sont entreposés les chariots, ainsi que le matériel pour la mission qui commencera dans seulement quelques heures. Et lorsque tu déboules, avec ton bordel, tu t'arrêtes nette lorsque tu tombes sur le Caporal Ceylian, allongé au beau milieu d'un tas de caisses en bois renversées, en train de se parler à lui-même et même de se coller des claques. « C'est bizarre comme endroit pour dormir, ça, Caporal. » Que tu lances soudainement en t'avançant pour le rejoindre. Tu viens t'accroupir juste à côté de lui, te penchant légèrement au dessus de lui pour l'observer. « C'est une nouvelle technique de méditation ? »

Tu l'observes, oui. Avec l’œil d'une scientifique, parce que, généralement, tu ne sais faire que comme ça. Et tu restes immobile, tes yeux braqués sur lui, l'expression atrocement neutre, et pourtant, quand on te connais, on sait parfaitement ce qu'un regard aussi dénué de sens signifie chez toi. Tu réfléchis. Nul ne sait jamais à quoi tu es en train de réfléchir, d'ailleurs, les personnes qui t'entourent, les plus proches du moins, ont cessé de poser la question lorsqu'ils constatent que tu es dans cet état. Parce que, si parfois, tu as des réponses très intéressantes, et très intelligentes, des réflexions profondes qui donnent lieu à des choses exploitables. D'autres fois, c'est tout à fait l'inverse qui se produit. Et si tu devais être honnête, à ce moment-là, tandis que tu fixes Alwan, c'est vers sa coupe de cheveux – inexistante – que se tourne tes pensées profonde. Tu te dis que ses cheveux, ils sont drôlement en pétard aujourd'hui, mais qu'étrangement, il y a une certaine symétrie parfaitement aléatoirement placée sur le sommet de son crâne. Si Gemaël était dans les parages, il l'aurait sûrement remarqué, lui aussi, il aurait trouvé ça plaisant, rassurant et probablement même fascinant. Toi ? Tu trouves ça déroutant et énervant, si bien qu'après avoir débattu un moment avec toi-même sur le fait qu'une symétrie, apparue si soudainement, et de façon si aléatoire dans la chevelure de ton supérieur était très probablement mauvais signe, tu t'étais mise à élaborer un plan pour casser le maléfice d'une manière où d'une autre.

Du coup, il est évident que tu ne réponds pas grand chose lorsqu'il se redresse, et qu'il te parle de ces histoires de caisses qui n'amortissent pas. Parce que oui, tu as peau être dans tes pensées, ça n'empêche pas tes oreilles de fonctionner et une partie de ton cerveau au moins d'enregistrer les informations, importantes ou pas, tu notes tout, toi, de toute façon. « Bah qu'est-ce qui vous a pris de tomber, aussi ? » Que tu finis par lancer, en te relevant brutalement, sans même avoir songer à saisir la main qui t'étais si gentiment tendue. Non, avec toi, la galanterie, c'est généralement pas la peine d'essayer, soit tu ne la vois pas, soit tu ne la comprends pas. La dernière fois qu'un homme t'as tendu la main pour paraître charmant, t'as taper dedans pour lui faire un « check » et t'es partie en courant.

« Moi ? C'est parce que j'ai eu une super idée en dormant, vous allez l'adorer ! » Ouaip. C'est même sûr qu'il va l'adorer, ta nouvelle super idée de piège. Bon, t'as que les plans – sur lesquels on comprends rien, rappelons-le – et il va te falloir un peu de temps pour la conception, l'élaboration, les tests, donc c'est complètement râpé pour cette mission-là, mais du coup, t'as trouvé sur quoi travailler d'arracher pied en attendant celle qui viendra encore après. De toute façon, t'es toujours bien trop focalisée sur cette histoire de cheveux, si bien que, quand tu t'approches du Caporal, c'est pour venir le scruter tel un vautour avant de lui tendre tes papiers froissés. Et tu profites du moment où il vient les chercher pour attraper son poignets et prendre son pouls. « Et bah c'est pas la grande forme. » Que tu lui lances. « Oh regardez, un cafard. » Tu pointes le sol du doigt … et oui, quand il baisse la tête, t'en profite pour venir passer une main dans ses cheveux pour remuer sa crinière quelques secondes avant de reculer. « Mission réussie Caporal, j'ai vaincu la symétrie. Bon, sinon, ça c'est les plans pour un nouveau piège, je pense qu'avec les nouveaux câbles ultra résistant qu'on vient de mettre au point, ça devrait fonctionner. » Et tu te mets à empiler quelques caisses, sur le chariot qui doit partir avec vous dans moins d'une heure, tu ramasses aussi quelques trucs qui traînent, en balançant le tout dans une malle, sans prendre le temps ou la peine de placer correctement les choses. « Ah, mangez un repas consistant avant de partir, vous manquez d'énergie. »