Histoire ▬
Les larmes se réservent pour les moments de faiblesse. C'est une chose que tu as appris depuis tout petit, bercé par la violence à cause de ta couleur de peau. C'est une chose que tu n'as jamais compris cependant. Tout simplement parce que tu fais parti d'une minorité persécutée. Il faut bien que l'homme ait peur de ce qui est différent de lui. Il faut bien qu'il ait peur de ce qui ne ressemble pas au commun des mortels. Il faut croire que tu en fais partie. Tu es différent. A bien des niveaux. Et tu n'en es pas encore forcément conscient.
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Un père. Une mère. Un grand père. Pas de frère ni de soeur. Tu n'es pas triste d'être le seul enfant de la famille même si tu aurais aimé pouvoir parler de certaines choses avec des ainés. Tu te sens différent des autres. Non pas que physiquement, cette différence tu as fini par l'accepter. Elle te pose parfois problème d'ailleurs. T'aimes pas qu'on te traite de métisse. T'aimes pas quand on vient te dire que t'es bronzé. Quand on vient appuyer sur ta différence. C'est pas que t'es pas fier de ta différence, c'est seulement que lorsqu'on vient t'en parler tu penses toujours qu'on se moque de toi. Et c'est le cas. Alors tu joues des pieds, tu joues des poings. Tu te fait remonter les bretelles par tes parents. Et puis le lendemain tu recommences, parce que si tu te sens déjà différent par ta couleur de peau, tu sens cette autre différence qui émerge en toi jour après jour. Cette différence qui te ronge, qui finit par te faire croire que tu n'es peut-être pas normal. Qui te fait te renfermer un peu plus chaque jour et que tu deviens cet adolescent plein de colère et de rancoeur.
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Cette différence, jamais tu ne l'as partagée. Même si tes parents ont toujours été proches de toi, jamais tu ne t'es étendu sur le sujet. Parce que jamais tu n'aperçois dans les rues, dans les maisons deux hommes ensemble. Tu as beau tourner la tête, regarder partout où tu passes, lorsque tu vois deux hommes ensemble, rien ne transperce d'autre que de l'amitié. Alors tu te mets en tête que t'es malade. Et tu enfermes au plus profond de ton âme cette partie de toi qui ne demande qu'à sortir et à s'épanouir à la lumière du jour. T'essayes de t'approcher des filles. Dieu sait que t'essayes. Mais tu n'aimes pas leur proximité, elles te mettent mal à l'aise, tu n'aimes pas qu'elles te touchent. Pourtant t'essayes, t'essayes de vivre avec ça, t'essayes de surmonter ta maladie.
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Tu finis par partir dans l'armée. Le fait de garder enfoui en toi ce secret te ronge. Irascible. Colérique. Violent. T'as changé, beaucoup trop changé. Si ta mère aurait préféré que tu te conduises comme un citoyen, tu prétextes vouloir faire honneur au nom qui est le tien. Tous militaires de père en fils. Tu ne feras pas exception à la règle. Mais en réalité t'as besoin de violence, besoin de te défouler. Besoin d'extérioriser toute cette rage que tu sens en toi, toute cette honte. Et tu penses que ta maladie finira sans doute par passer. T'essayes. Avec une fille. Tu poses tes lèvres sur l'une d'elle, sans réaction. Mais lorsqu'elle veut aller plus loin tu t'enfuis, le coeur au bord des lèvres. Et c'est là qu'il apparait. Ton sauveur. Tes yeux se sont posés sur lui. T'as voulu l'éviter mais il a frappé ton coeur empli de haine dès les premières secondes où tu l'as vu. Tu l'as tant détesté au départ. Tant détesté pour ce qu'il te faisait ressentir. Pour cette rage que tu tentais vainement de contrôler... Pourtant il est devenu ton salut. Il a suffit d'un baiser pour que tu t'emballes. Il a suffit d'un baiser pour apaiser la bête qui hurlait sa rage en toi. Et il est toujours là.
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Lorsque tu sors hors de la sécurité des murs tu enfermes ton coeur à double tour et tu en remets la clé à ton amant. Hors de question pour toi de penser à autre chose que ton travail, hors de question de te déconcentrer. Hors des murs tu deviens cet homme plein de violences, ce
Butcher dont tout l'armée connait le nom. T'as fini par accepter ta différence, cet homme fait ressortir le meilleur de ce qui est en toi. Mais la bête qui vit dans ton coeur continue toujours d'exister. Tu ne peux montrer ton amour, ta joie. Tout le monde s'accorde à dire que tu es en couple. Mais personne ne connait ni son nom, ni qu'il est un homme. Alors tu vis avec cette rage, cette rancune de ne pouvoir montrer qui tu es vraiment au monde. Et hors de ces murs, tu laisses éclater cette violence que tu ne veux plus montrer devant lui.